

« La joueuse la plus rapide du monde », « speedy », bip-bip », que de surnoms pour parler d’Elodie THOMIS, l’une des pionnières du football féminin moderne. C’est le parcours d’une jeune fille qui courrait vite, pas fan de football qui devient footballeuse professionnelle. Elle se livre aujourd’hui en répondant à mes questions avec le recul que lui offre son statut de « jeune retraitée ».
Retour dans un premier temps sur sa carrière, les difficultés qu’elle a rencontrées, puis sur sa nouvelle vie et son regard sur le football féminin actuel.
Elodie, comment as-tu commencé à jouer au foot ?
Je faisais pleins de sports, j’étais garçon manqué et sportive. Je jouais au football avec mes frères dans ma cité ou dans la cour de récré. Si je peux dire, j’ai commencé le foot en club par hasard. Je devais aller signer ma licence d’athlétisme et je me suis retrouvée à signer une licence de football. J’ai participé à un tournoi, les coachs m’ont dit que je pouvais faire du foot. Finalement, le lundi, j’ai signé à Épinay-sur-Seine, j’avais 15 ans et ça a commencé comme ça. Je me rappelle qu’une fois on m’avait appelé pour venir faire du foot, c’était le jour où j’avais catéchisme. J’étais dégoûtée de ne pas pouvoir y aller. J’ai désobéi, je suis allée au foot quand même. Je me suis fait fracasser par ma mère (rire) mais bon, ce n’était pas grave, c’est bien passé après.
Ensuite les choses s’enchaînent rapidement pour toi.
J’ai signé ma licence en septembre à Epinay, mais ils m’ont rapidement conseillé de signer dans un autre club, je n’arrêtais pas de courir partout. J’ai signé à Colombes dans la même année, j’y suis restée un an, j’ai participé à la coupe des Hauts-de-Seine. Quand tu te qualifies pour cette compétition, certaines joueuses sont sélectionnées pour faire la Coupe Nationale Île-de-France. J’ai été sélectionnée. Parmi ces joueuses encore une fois, certaines étaient sélectionnées pour l’INF (Institut National de football) Clairefontaine et j’ai aussi été prise. Tout ça en moins de deux ans. C’est allé très vite.
Tu progresses, est-ce qu’à un moment tu t’es dit que tu allais devenir footballeuse professionnelle ?
Non pas du tout, je ne savais même pas qu’il y avait une équipe de foot féminine. Je ne regardais même pas le football en général. Je me souviens de mon père qui regardait France-Brésil moi j’étais en train de manger mon floup* au pays. Je me disais qu’il me prenait la tête avec ses trucs de foot. Quand je jouais à Épinay-sur-Seine, je pensais qu’on était les seules à faire du foot tellement c’était pour les garçons tout ça. Quand je suis arrivée à Clairefontaine, la première joueuse à qui je me suis identifiée, c’est Hoda LATAFF. C’est là que j’ai appris qu’il y avait une équipe de France féminine. Je n’y pensais pas du tout, les choses sont venues à moi, j’ai pris, et ça ne s’est pas arrêté. Ça s’est vite enchaîné pour ne s’arrêter que l’année dernière.
Comment se sont passées tes quatre années de formation à Clairefontaine ?
La première année ma mère partait s’installer en Guyane avec mon petit frère moi je ne voulais pas y aller. C’était soit j’étais prise à Clairefontaine, soit je partais vivre en Guyane et j’ai été prise. Ça a été compliqué, pas par rapport au froid parce que j’avais déjà l’habitude mais par rapport aux gens qui parlaient. Les filles étaient un peu méchantes, elles se demandaient ce que je faisais là parce que moi je suis arrivée avec mon bandana jaune, je ne rigolais pas. On me prenait pour une sauvage mais c’était ma façon à moi de me protéger. C’est Laura GEORGES qui m’a prise sous son aile à l’époque avec une autre coéquipière, Zoé AVNER. J’étais à Clairefontaine toute la semaine, c’était ma maison et le weekend, je jouais avec l’équipe du centre à domicile, on évoluait en D1. Ça a été compliqué mais c’est comme ça que je me suis forgée avec des qualités et des lacunes. J’ai été bien entouré, j’ai rencontré les bonnes personnes au bon moment. Même si financièrement ce n’était pas très simple pour ma famille, être en sport étude ça nous aidait, on n’avait pas le repas et l’hébergement à payer. Le week-end quand je rentrais chez ma famille à Paris, je travaillais dans le restaurant de ma tante pour avoir un peu de sous et acheter mes affaires. Ma mère faisait comme elle pouvait mais je préférais ne pas la solliciter. J’ai passé quatre ans à Clairefontaine, j’ai connu les sélections de 17 ans, 19 ans, les A en équipe de France. Quand tu finis ta formation à l’INF, tu dois trouver un club et là, ils commencent à te solliciter. Moi j’ai choisi le Montpellier Hérault Sport Club, j’avais 18 ans.
Pourquoi avoir choisi Montpellier et comment ça s’est passé pour toi dans ce club ?
J’ai choisi Montpellier parce qu’il faisait chaud (rire). Lors de ma dernière année de formation à Clairefontaine, je jouais déjà pour le MHSC, j’étais trop âgée pour l’équipe du centre. Je m’entraînais la semaine au centre et le week-end, je jouais avec le MHSC. C’est Sonia BOMPASTORE ou CAMILLE ABILY qui m’hébergeaient à l’époque quand je venais à Montpellier et qu’on jouait le week-end. Je me suis forgée comme ça. Puis il a fallu que je prenne mon appartement seule, ça correspondait au moment où ma mère rentrait du pays parce qu’elle en avait marre. Elle a voulu s’installer en France et on s’est dit qu’au lieu de recommencer à Paris qu’on referait notre vie à Montpellier. Elle est venue avec mon petit frère et on s’est installé là-bas.
Tu restes deux saisons dans ce club, qu’est-ce qu’il t’a apporté ?
À Montpellier on était payé, pas grand-chose mais pour nous, c’était déjà tellement de choses. On avait déjà le statut qu’on a aujourd’hui au niveau du foot. J’étais déjà en sélection, j’avais fait la Ligue des champions, on était arrivé en demi-finale contre Francfort. C’est là que j’ai vraiment connu le haut niveau, on a fait un vrai chemin. Mais je vivais au jour le jour, je l’ai toujours fait jusqu’à la fin de ma carrière. Je pense que ça m’a aidé à grandir et à ne pas me soucier de ce qui arriverait après. Quand je suis arrivée là-bas j’avais Hoda (LATAFF), Sonia (BOMPASTORE) qui se sont beaucoup occupées de moi et Louisa NECIB mon amie avec qui j’ai fait presque toute ma carrière. Tu te fais une famille au-delà de ta vraie famille et c’est important parce que ces personnes-là ont de l’expérience. Ça t’aide à démarrer dans ta vie de femme parce que forcément tu fais des bêtises et il faut des personnes pour te rattraper (rire). Elles m’ont vu dans des états… Aujourd’hui c’est marrant parce qu’elles voient l’évolution. C’est pour ça que je dis que j’ai deux familles, ma famille et la famille du foot parce que j’ai vécu et j’ai grandi avec elles. C’est fou !
-Après Montpellier, arrive l’OL. Est-ce qu’au moment où l’OL se présente, ce club représentait déjà ce qu’il est aujourd’hui ? (notoriété, opportunité, standing…)
Pas vraiment. Ce qui faisait que c’était quand même exceptionnel, c’est que Sonia (BOMPASTORE), Camille (ABILY), Laure (LEPAILLEUR), Hoda (LATAFF) avaient réussi à négocier leurs premiers contrats pros avec l’OL… Elles étaient les premières à faire ça. Avec Louisa, ma coéquipière de toujours, on savait qu’il y avait un coup à jouer. On voulait vraiment aller là-bas pour être des footballeuses professionnelles. Lyon, ça a été la continuité, la suite logique parce que c’est un bon club.
-Au final, qu’est-ce ce l’OL t’a apporté de plus que le MHSC ?
Ma stabilité, j’y ai construit ma vie. Je ne connaissais pas du tout cette ville. En plus, comme je suis une banlieusarde, ça me plaisait plus que Montpellier où je commençais à m’ennuyer un peu. Je me suis construite en tant que femme, en tant que sportive et je me suis fait mes amies. Regarde, aujourd’hui je suis encore là. Au niveau de mon jeu, j’ai senti une vraie progression.
-Ton jeu justement, tu as souvent été qualifiée comme étant une joueuse “pas technique”. Comment tu as vécu ça ?
On m’a tellement critiqué mais les gens ne m’ont pas vu avant. Ils ne se rendent pas compte que j’ai appris le football à 15 ans. Moi, à la base, je courrais, je m’en fichais du foot. J’ai dû apprendre à jongler avec Gerard PRÊCHEUR, il mettait Sarah BOUHADDI dans les cages, je devais tirer sur elle pour m’entraîner à frapper. Je suis passée par des choses… Vous ne pouvez pas savoir, c’est incroyable. Aujourd’hui j’ai réussi à avoir une carrière accomplie en partant de rien à 15 ans. Il faut te forger, te protéger parce que tu es critiquée. Pendant un moment, je n’y portais pas attention mais ça devenait chiant. Ça fait partie du jeu, car même les meilleurs sont critiqués, ils arrivent même à critiquer les plus techniques. Parfois je me disais « mais les gens ont des problèmes, c’est incroyable ». Au final, tu as vu des matchs, quand il fallait envoyer les ballons loin, qui allait les chercher pour faire un centre ? À ce moment-là, la technique ça ne compte plus. C’est ce que me demandaient mes coachs « Thomis, tu cours et tu centres ! ». Ma vitesse, ça a été ma technique, ça a été mon tout c’est ma carte d’identité et c’est ce qui m’a permis d’être là aujourd’hui. J’ai le corps en vrac tellement j’ai couru.
*FLOUP : berlingot glacé aux arômes de fruits et au lait. (un peu comme un Mr. Freeze)
Rdv ce dimanche pour la suite de cette interview pour discuter cette fois de sa nouvelle vie et de son regard sur le football féminin actuel.