
Suite et fin de notre interview avec Victor Jean-Baptiste, « actif à la retraite au service du football martiniquais » et âgé de 67 ans. Après avoir parlé de sa jeunesse en tant que footballeur, nous avons poursuivi notre conversation autour cette fois, de sa vision du football local.
Aujourd’hui, tu n’es plus acteur principal parce que tu ne joues plus, mais tu es encore un acteur clé du football martiniquais.
Oui, je pense que j’ai une crédibilité dans le football martiniquais en dépit de ce que pourront penser les dirigeants de ce même football. Au niveau des spectateurs et acteurs, j’ai un grand crédit. Certains continuent à louer le travail que je fais pour la jeunesse martiniquaise. À l’époque, j’ai été le président de l’ASJ Bo-Kannal qui a toujours organisé des tournois pour les jeunes footballeurs martiniquais. J’ai également fait partir certains jeunes au Brésil, à Sainte-Lucie, au Mexique. Depuis deux ans, j’ai créé une association qui s’appelle « Bo-Kannal Lévé Doubout », elle a pour but d’organiser et de faire vivre le quartier. Depuis plus de 40 ans, j’organise des manifestations qui permettent à nos jeunes de sortir de la Martinique et aller voir autre chose. Nous sommes allés à la coupe d’Europe, à la coupe du monde 98. Je continue à m’investir pour la jeunesse martiniquaise.
Comment expliques-tu le fait que tu arrives à avoir cette implication-là dans le football local alors que d’autres qui y sont encore, qui ont les moyens, ne parviennent pas à s’investir ?
C’est une question pertinente. Je crois que ceux qui ont un passé glorieux ne sont pas pris en considération par ceux qui ont en charge le football martiniquais. Ils ont peur qu’on leur fasse de l’ombre. Je l’ai déjà dit, je n’ai jamais compris qu’un ancien joueur comme Gérard JAVION n’ait pas été à la tête du football martiniquais. On aurait pu composer avec lui et non se servir de lui. Si ceux qui sont en place n’acceptent pas que les idées viennent des autres, c’est un gros problème et c’est ce qui se passe.
Plus que par les infrastructures, le progrès du foot martiniquais passerait donc pour toi par l’investissement des personnes.
En ce moment, c’est très difficile, car certains par leurs comportements, dégoûtent ceux qui seraient habités par le désir de venir en aide au football martiniquais. C’est très simple, quand on fait une analyse, un constat de ceux qui ont en charge le football : le président je ne l’ai jamais croisé en tant que joueur UFOLEP ou en première division. C’est un monsieur qui a été mis en place grâce Alain RAPON. La plupart des dirigeants qui sont à la tête de notre football n’ont pas été des footballeurs. « Sé pa lè ou fè an ti-swé ou sé an foutbalè” (ce n’est pas quand tu as fait un petit foot entre amis que tu es footballeur). Il y a les contraintes, les obligations, ces gens-là ne connaissent pas ça. Ce qui importe aujourd’hui c’est qu’ils aient en main notre football, ça leur appartient en quelque part donc les portes sont fermées. Je vous donne un exemple : MARIE-JOSEPH qui avait une liste pour combattre Samuel PERROT, c’est le pouvoir qui l’intéressait. Aujourd’hui, il se retrouve 4ᵉ vice-président de la ligue de football, il sollicitait un poste mais ceux avec lesquels il avait préparé ce travail, il les a laissés de côté. Il y a des gens qui sont là parce qu’ils sont avides de pouvoir mais qui n’ont aucune volonté de faire progresser le football martiniquais.
Pourtant ces dirigeants-là arrivent à attirer des footballeurs pros pour venir en sélection de Martinique.
Je suis contre ça. On ne peut pas avoir des locaux qui participent à nos différentes compétitions tout au long de l’année et faire venir des pros lors de la Gold Cup. Si le gars joue dans un club pro en France, son aspiration doit être en équipe de France. Lorsqu’il vient jouer en sélection de Martinique, il prend la place de nos locaux. Il faudrait qu’on mette davantage de moyens pour permettre à nos locaux de progresser. Ça voudrait dire par exemple, que la sélection jouera contre une équipe, elle perdra 10-0 la première fois. La deuxième fois, elle perdra 7-0 et un jour, elle ne perdra plus. Elle serait à même de réaliser de bonnes performances parce qu’on aura mis les moyens pour permettre l’émancipation de nos joueurs. Or ce n’est pas le cas aujourd’hui. Que la Guadeloupe fasse, que la Guyane fasse, c’est leur problème, gardons notre identité. À l’époque, la sélection de la Martinique gagnait de grandes équipes, et ce, sans l’apport d’aucun professionnel avec uniquement des martiniquais. On a eu exemple quand la sélection a gagné l’America Football Club du brésil 2-1. Je ne dis pas qu’il faille mettre tous les footballeurs à la tête du foot martiniquais, mais que le football reste aux footballeurs ! On a trop de gens qui sont dousinè (gentils), des opportunistes qui viennent pour se faire voir et qui ne sont pas au service du football martiniquais. C’est dommage. C’est rare que j’aille voir un match en Martinique.
Justement, beaucoup de personnes dénoncent ce manque de public dans les tribunes du football local, pourquoi ? La venue des joueurs pro ne serait pas une solution à ce problème ?
Je ne dis pas le contraire. C’est vrai que le football martiniquais a régressé, les joueurs ne prennent plus plaisir à jouer. Aujourd’hui, avec tout ce que nous avons comme moyen, on nous montre des matchs très intéressants… Est-ce que vous croyez honnêtement que s’il y a un Barcelone-Real Madrid vous quitterez votre maison pour aller au stade en Martinique ? Vous irez voir jouer qui ? C’est là le problème ! On me dira de ne pas être nostalgique, mais c’est une réalité. Je jouais au Club Colonial j’avais match le samedi, le dimanche, il y avait un ASSO- Samaritaine par exemple. Je n’allais pas voir la rencontre en elle-même, j’allais voir évoluer certains joueurs comme Yvon LUTBER ou BOUDAR. Aujourd’hui qui va-t-on voir ?
Qu’est-ce qui explique selon toi cette baisse d’engouement ?
Au bas de l’échelle, on empêche aux gamins de s’exprimer donc ça rejaillit à l’échelle supérieure. Les gamins ne prennent plus plaisir très jeune, pourquoi ? Parce que dès lors qu’un gamin a un ballon, il y a l’entraîneur, les parents derrière qui disent « ladjé balon-an »(lâche le ballon). On empêche ce gamin de s’exprimer donc il y a un blocage psychologique. Alors que ce même gamin, si on le voit évoluer dans un autre contexte on se dit « ce n’est pas possible il est pétri de qualité ». Le problème, c’est ça, c’est la gagne, alors qu’à mon époque, c’était le plaisir et le plaisir entraînait le résultat. Dès le plus jeune âge on prenait déjà du plaisir à jouer parce que quand nous étions jeunes, on voulait s’identifier aux séniors. Tu allais avec tes copains, tu disais « mwen sé Claude Cayol, mwen sé untel »(je suis Claude CAYOLE, je suis untel). Parfois, s’il vous arrive d’aller au match en Martinique, il se peut que vous ne connaissiez même pas les joueurs qui évoluent. À mon époque, nous les connaissions tous et on s’identifiait à eux, ce qui n’existe plus aujourd’hui.
C’est très paradoxal parce qu’à l’heure du numérique, le football martiniquais n’est pas du tout exposé, c’est assez compliqué de le suivre. Est-ce que tu estimes que tout est à revoir ?
Il aurait fallu faire une réunion, un état avec tous ceux qui ont des idées pour travailler ensemble. Mais on n’a pas la volonté de faire ça, peut- être parce qu’on craint que celui qui a un bac +7, qui n’a peut-être jamais joué au football mais qui a des idées, prenne la place. Alors que ces idées peuvent permettre l’évolution du football martiniquais. Il faudrait qu’un jour, nous ayons le courage de faire cette table ronde autour du foot avec tous les acteurs, ceux qui jouent ou pas sur le terrain. C’est ma manière de voir les choses et ça ne veut pas dire que j’ai raison.
Parlons de foot féminin local, qu’est-ce que tu penses de l’exposition de ce football ?
Je crois que depuis l’existence de ce football, je n’ai pas vu tellement de joueuses qui se soient imposées pour partir et faire une carrière. C’est très rare que j’assiste à un match de foot féminin mais je crois que c’est en train de se développer, ce qui est une bonne chose. Est-ce que ceux qui ont en charge son développement, ont les capacités et le désir de permettre à ce football de se développer davantage ? Est-ce que les moyens sont mis en œuvre ? Je ne sais pas, je ne maîtrise pas assez le sujet. Mais pour avoir organisé des rencontres de futsal féminin, je crois qu’il y a un potentiel. On peut envisager une meilleure progression parce que je vois qu’elles participent à la CONCACAF par exemple, c’est déjà un plus. Je crois que si nos dirigeants ont le désir d’être au service du football féminin ça ne pourra qu’être un plus. Nous avons beaucoup de jeunes filles qui sont accrochées au football, qui veulent s’identifier aux filles qui évoluent dans l’hexagone. Nous avons quand même une très bonne joueuse qui est Wendie Renard. La plupart des filles voudraient lui ressembler et c’est une image positive pour le football martiniquais.
Pour finir Victor, quel serait ton conseil pour un jeune qui souhaite se lancer dans le monde du foot ?
Je ne peux pas prodiguer de conseil mais je vais partager une impression que j’ai. Le gamin qui voudrait progresser, partir de la Martinique, il faudrait déjà qu’il ait un bon bagage scolaire et l’attitude footballistique. Il peut avoir les qualités de footballeur mais si à l’école ça ne va pas bien, il ne va pas intégrer le pôle espoir comparativement à un autre qui a moins de qualité que lui au foot mais qui au niveau scolaire est très bon. Il faudra être à l’écoute de ceux qui prendront en main sa formation. Je crois que ce gamin s’il a envie de réussir, avec les moyens qui sont mis en œuvre aujourd’hui, il pourra réussir. Que les parents restent à leur place, parce qu’aujourd’hui il y a beaucoup de parents qui ne veulent pas tellement que leur enfant soit professionnel mais qu’ils gagnent de l’argent. C’est l’attrait financier qui préoccupe les parents. « Comme untel ka ginyin lajen (comme celui-là gagne de l’argent), mon enfant est capable d’être professionnel, il faut qu’il parte. », alors que l’enfant n’est pas préparé. S’il n’a pas un bon agent ou quelqu’un qui s’occupe de lui, qui l’oriente, l’accompagne, lui prodigue les bons conseils et bien il passera à côté. De plus, l’argent, c’est au fur et à mesure que l’oiseau fait son nid. Ce n’est pas dès qu’il vient d’arriver qu’il faut penser qu’on gagne des millions par mois. Il faudra donc être patient aussi. Le gamin a les qualités, il est parti mais ça ne veut pas dire que du jour au lendemain, il sera pro. Il va falloir qu’il travaille qu’il soit à l’écoute de ceux qui ont en charge sa formation. Si toutes ces conditions sont réunies, sur dix jeunes, trois jeunes perceront.