
À la question « peux-tu te présenter ? » , Victor JEAN-BAPTISTE répond « actif à la retraite au service du football martiniquais ». Avec cette ancienne gloire du football local aujourd’hui âgé de 67 ans, nous sommes revenus sur sa jeunesse et ses plus belles années en tant que footballeur.
Victor, est ce que tu peux me parler de toi et de ton football à l’époque ?
Quand on était petit et qu’on vivait dans les quartiers défavorisés, il fallait aller promener les petits frères et sœurs le matin. Il y avait un arbre sur le chemin qui s’appelait « flè diab », je cueillais plusieurs fleurs, j’en faisais un petit ballon pour jongler et m’amuser. C’est comme ça que j’ai découvert le football. En grandissant dans le quartier, très jeune, j’ai été un « aficionado ». J’ai commencé à jouer au championnat de vacances dans le quartier, après nous sommes allés jouer sur la Savane et puis j’ai intégré le Club colonial à l’âge de 13 ans.
Depuis, ton attachement au football n’a fait que grandir, raconte-nous un peu cette relation avec le football ?
À mon époque comme enfant de ghetto, nous n’avions pas l’argent facile. Nous avions comme recours à cela, d’aller plonger les pièces quand les paquebots américains de touristes venaient. J’allais aussi à la senne*, à l’abattoir qui était à Bo-kannal* et sur le port en tant que jeune docker puisque mes parents étaient dockers. Mais j’ai eu une enfance très heureuse, j’ai tout eu grâce au football. J’ai eu la vie facile quand j’ai commencé à jouer au Club Colonial, car les supporters te donnaient de l’argent quand tu gagnais et souvent, le Club Colonial gagnait. C’était un club très connu à Fort-De-France qui avait un plus grand nombre de supporters. Quand j’allais à l’école le lundi matin, j’avais les poches remplies d’argent et je me permettais de payer le petit déjeuner à mes camarades de classe. J’allais dans les punchs an mizik*, les thés dansants, le cinéma et j’avais tout gratuitement. Il y avait des commerces Rue François Arago où j’allais m’habiller gratuitement quand le Club Colonial gagnait. Le football m’a permis d’enrichir tout ce qui m’entourait, de côtoyer des gens que je n’aurais jamais pu côtoyer sans ça.
Puis à 18 ans, tu t’envoles pour jouer au football dans l’Hexagone. Comment ça se passait à ton époque un transfert des DOMS à Paris ?
La première fois que je suis parti, c’est grâce à un ancien joueur de l’Excelsior, M. René DE CHAVIGNY qui m’a découvert alors que je participais à une rencontre qui s’appelait « les Antillais du Havre ». Tous les grands joueurs antillais qui évoluaient en France venaient aux Antilles disputer quelques rencontres. C’est à l’issue de cette rencontre que M. DE CHAVIGNY m’a contacté pour me demander si ça ne m’intéressait pas de faire un essai à Marignane. J’ai dû faire deux matchs avec ce club et puis j’ai arrêté, car les conditions n’étaient pas requises. J’étais jeune, il me manquait mes parents, mon entourage, j’étais mal logé. Je suis allé chez ma sœur qui habitait à Goussainville. J’avais un supporter acharné qui s’appelait Georges DEBS, je l’ai contacté je lui ai dit « Jojo je veux rentrer, il faut que tu m’envoies un billet. » . C’est comme ça que je suis retourné en Martinique.

Malgré cette expérience tu es reparti quelques années après pour à nouveau tenter ta chance.
Le RED STAR m’a sollicité, je me suis entraîné deux fois avec eux. Le dirigeant du Red star est venu me voir à la Caf de Fort-de-France, il voulait que je fasse une mutation de la Caf de Fort-De-France pour venir bosser à paris. J’ai dit que non, je ne peux pas jouer au football et travailler, que c’était l’un ou l’autre, mais je n’ai pas donné de suites. Peu de temps après, grâce aux conseils de Jean-Pierre MIREDIN, je suis parti pour Angoulême, j’ai fait un essai, j’ai été pris tout de suite. J’embrassais une carrière qui, j’espérais, me conduirait à un autre niveau. Mais mon caractère m’a joué un mauvais tour.
À ton époque les difficultés ressemblaient déjà à celles que les jeunes rencontrent encore aujourd’hui ?
Aujourd’hui, les jeunes sont beaucoup plus pris en charge, à mon époque j’avais l’impression que nous étions du bétail. Par exemple, à Angoulême nous étions trois antillais, il y avait Roger MODESTE, Alex BURNER et moi. On nous avait donné une maison, le problème, c’est qu’il fallait que ce soit nous qui payions le loyer. Quand Roger MODESTE m’en a parlé, je suis allé voir les dirigeants et je leur ai dit : « Écoutez, ce n’est pas normal que vous nous fassiez venir des Antilles et que nous ayons à payer le loyer ». J’ai ajouté à cela : « Vous allez me chercher un professeur pour perfectionner mon anglais et mon espagnol ». Il m’a répondu « si chez toi, c’est comme ça que ça se passe ici ce n’est pas comme ça ». Après ma demande, ils ont finalement mis les choses en place pour nous. Alors que maintenant le jeune s’en va, il va dans un centre de formation, on fait venir les parents, il y a une autre démarche.
Ton aventure à Angoulême n’aura pas duré longtemps, pourquoi ?
J’ai eu des problèmes avec les dirigeants lors d’un match PSG-Angoulême aux Camps des Loges. J’ai été blessé à la 75ᵉ minutes de cette rencontre. Je suis rentré à Angoulême, je me faisais soigner. Le samedi, il y avait un match, mais les dirigeants m’ont dit que je ne pouvais pas jouer à cause de ma blessure. Le dimanche, ils viennent me chercher pour aller jouer en amateur. Je leur ai rétorqué « Hier je ne pouvais pas jouer en pro, mais aujourd’hui je peux jouer en amateur ? Je n’y vais pas. ». Le dirigeant me dit alors que si je ne venais pas, le club prélèverait une somme sur mon salaire. Je gagnais à peine 1 250 euros sur lesquels, il fallait que je prenne une somme pour m’occuper de ma mère. Je ne suis pas allé jouer et effectivement au moment de ma paie, il me manquait cette somme. Ça a fait un tour dans ma tête, je suis allé réclamer la totalité de ma paie. Le dirigeant m’a souri et impulsif que j’étais, mwen fouté boug-la an kout tet (je lui ai donné un coup de tête). Quand l’entraîneur de l’équipe de CFA a su ça, j’ai dit que j’arrêtais le football, il a essayé de me retenir mais j’ai dit non. J’ai quitté le football après cet évènement.
Un autre événement t’a aussi poussé à quitter le football.
Oui à Angoulême toujours. Mon coéquipier Burner était assis devant, l’entraîneur va chercher son chien, il dit à Burner de passer derrière et il met le chien à sa place. Burner me fait écho de cette situation-là, j’ai pété les plombs, mwen di’y “ou ka mantjé nou respé” (je lui ai dit “tu nous manques de respect”), il me répond « si chez toi tu étais le petit chouchou, ici le patron, c’est moi ». Man di an nou fini épi foutbol-la (j’ai dit qu’il fallait que j’arrête le football), c’était le début de la fin de ma carrière.
De ce que tu me dis, je comprends pourquoi on te surnomme « l’enfant terrible du football martiniquais ».
Jusqu’à ce jour, je ne conçois pas que l’acteur soit considéré comme le dernier maillon de la chaine, c’est l’acteur qui permet aux autres d’exister. Nous jouions des rencontres contre des sélections cotées, avant les rencontres, les adversaires touchaient leur cachet. Un jour, je me suis dit « ce n’est pas normal, moi j’en ai ras le bol ». J’ai rassemblé les autres sélectionnés, je leur ai dit « les gars, aujourd’hui je vais faire en sorte qu’on demande de l’argent, même si on nous donne 150 francs ». Lorsque l’arbitre a sifflé, j‘ai dit aux gars, on ne joue pas alors que l’équipe adverse était sur le terrain. Les dirigeants sont venus nous voir j’ai dit : “Kouté, jòdi-a sa fini, swa zot ka péyé nou pou jwé, swa nou pa ka jwé” (Ecoutez, aujourd’hui c’est fini, soit vous nous payez pour qu’on joue, soit on ne joue pas). L’équipe adverse est rentrée au vestiaire, les dirigeants nous ont appelé, mais on a tenu tête « vous nous payez ou il n’y a pas de football ». Ils ont dit qu’ils nous payeraient à la mi-temps du match ce qui n’est pas arrivé, finalement on a été payé à la fin du match. Lors de la remise de cette prime, très maigre, le président de la ligue m’a dit “épi lajan-tala ou pé achté dé bibron ba ich-ou” (avec cet argent-là, tu peux acheter deux biberons pour ton enfant), ma fille avait à peine 1 an et demi à l’époque. C’était une insulte, une humiliation parce que pour ces gens-là, nous n’étions que des individus capables de mettre un équipement et aller jouer au football. Ces gens-là se faisaient tout l’oseille sur notre dos. J’ai failli frapper le président, c’est quelqu’un qui m’a retenu parce que sur le fond j’avais raison, mais sur la forme j’aurais eu tort. Depuis, j’ai ce pseudonyme d’enfant terrible du football martiniquais.
À ton époque, tu étais déjà un révolutionnaire. Est-ce que tu penses que tu aurais pu prendre un peu sur toi et avoir une plus grande carrière ?
J’ai joué au football en Martinique, j’ai toujours touché de l’argent. Dès que mon équipe avait gagné je leur disais « ba mwen lajen-mwen » (donnez-moi mon argent) j’ai toujours eu ce côté financier qui m’habitait. Je n’ai jamais accepté l’injustice jusqu’à ce jour. Je combats l’injustice, je combats tous ceux qui se servent des autres pour exister. Vu mes origines, la manière dont j’ai grandi, comme je t’ai dit j’étais un gamin heureux, mais j’étais livré à moi-même. Par exemple, je n’avais jamais connu un jouet à Noël de la part de mes parents. Ce sont les établissements scolaires qui m’ont donné des jouets. Je n’ai jamais connu le partage d’un repas convivial, manger à table en famille. Mon père rentrait à 12:00 et repartait à 13:00, le weekend il avait une vespa et c’était à tour de rôle qu’il nous emmenait dans la maison de vacances aux Anses-d’Arlet. Si je n’ai pas réussi une grande carrière, c’est sans regrets, mais mon caractère en est pour quelque chose. Je ne pouvais pas faire autrement, j’étais un enfant à l’état brut.
Nous retrouverons Victor pour la suite de notre interview ce mercredi. Il partagera cette fois avec nous, le regard qu’il porte sur le football martiniquais de nos jours.
Senne* : technique de pêche
Bo-kannal*: quartier de Fort-de-France en Martinique
Punchs an mizik*: sorte de bal traditionnel en Martinique