Steeven langil : “aujourd’hui, je suis fier de ma carrière…”

©️Ratchaburi FC

Steeven LANGIL est un martiniquais âgé de 32 ans qui évolue au Ratchaburi FC en Thaïlande depuis 2 ans. Il cumule des passages en France, en Belgique, en Pologne, en sélection de Martinique ou en équipe de France Espoir. C’est une carrière footballistique assez riche qu’il nous présente à travers cette interview. Il nous parle aussi d’une autre facette importante mais souvent négligée dans la vie d’un footballeur : le bien-être.

Steeven comment pourrais-tu décrire le football thaïlandais ? 

J’ai envie de dire que c’est un football spécial, ça n’a rien à voir avec l’Europe mais ça reste un football de haut niveau et de qualité. Aujourd’hui je suis très heureux je ne regrette pas d’être parti en Thaïlande parce que le plus important pour un footballeur c’est d’être heureux. Quand tu n’es plus heureux, ça ne sert à rien de continuer. La vie de tous les jours c’est la plage, le soleil, pas de pression c’est merveilleux. Mon club on est bien positionné, qualifié pour la finale de la coupe pour la ligue des champions asiatique. On fait une bonne saison pour le moment malgré le covid. Il nous reste 2 mois de championnat et on joue tous les 3 jours. C’est un peu compliqué, il fait 40° mais tout va bien, je suis heureux !

Êtes-vous beaucoup impactés par le Covid ? 

On a eu un mois d’arrêt comme tout le monde car c’était une règle de la FIFA. Sinon ici nous sommes peu impactés, les gens respectent tout. Ce sont des Asiatiques, ils ont déjà l’habitude de porter le masque et beaucoup de discipline. On joue sans spectateur car on ne sait jamais, ça limite les risques. On fait aussi le test chaque weekend, ça ne fait pas trop mal, on peut le faire salivaire ou nasopharyngé selon les semaines. Ça veut dire qu’ils font attention. 

Revenons à toi. Tu as déjà connu de nombreux clubs mais c’est la première fois que tu pars aussi loin, n’as-tu pas eu de craintes ? 

Je n’ai pas eu de craintes parce que j’étais sûr de mon football. Ça se ressent aujourd’hui sur le terrain, je suis un des meilleurs joueurs en Thaïlande. Si j’avais connu ce football thaïlandais avant, je serais venu plus tôt car c’est vraiment bien. Il y a de beaux stades qui sont souvent remplis. La seule crainte, c’était de m’éloigner mes proches mais ils sont venus plusieurs fois depuis que je suis là. 

Est-ce que tu avais imaginé arriver aussi loin à l’époque où tu jouais au Club Péléen ? 

C’était mon but à la base. J’ai même envie de dire que j’avais des intentions de star, depuis petit je me voyais très haut. J’ai travaillé pour ça et j’étais sûr d’atteindre le niveau professionnel je me suis battu pour ça. Depuis il y a eu des blessures, des mauvais choix mais aujourd’hui je suis fier de ma carrière. 

Tout a débuté il y a 16 ans au Nîmes Olympiques, parle-nous de cette période. 

J’avais 14 ans quand j’ai quitté la Martinique pour le Nîmes Olympique. Les débuts étaient forcément difficiles car il faisait froid, j’avais quitté tous mes copains, ma famille. J’étais très jeune, je me rappelle que je pleurais certains soir au centre  de formation, je voulais voir mes proches. J’ai discuté avec certaines personnes de ma famille qui m’ont clairement dit “si tu as envie de réussir, il faut passer par là”. C’est là que j’ai pris conscience qu’il fallait se donner les moyens et savoir faire la part des choses dans la vie. M’amuser avec les copains en Martinique ou aller dans un centre de formation et côtoyer des joueurs de haut niveau ? C’est allé vite pour moi je suis arrivé en U14 Nationaux, la première année je marque 15 buts. En U16 j’en marque 22 et de là, je passe avec les pros en National. Les 6 premiers mois un peu compliqués car je découvrais le monde professionnel. J’ai dû me battre, l’année d’après j’ai tout explosé. J’ai signé mon contrat professionnel pour 3 ans à Auxerre.

C’est avec Auxerre que tu découvres la ligue des champion lors de la saison 2010-2011. 

Après avoir signé pro à Auxerre, j’ai été prêt à Caen où j’ai fait une grosse saison. Je voulais rester à Caen parce que ça c’était bien passé. Durant mes vacances en Martinique en fin de saison, le coach d’Auxerre à l’époque, Jean FERNANDEZ me rappelle pour me dire de rentrer et qu’il comptait sur moi pour cette saison-là Je suis revenu à Auxerre qui était qualifié pour la ligue des Champions. On tombe dans un groupe avec le Real Madrid, l’AC Milan et l’Ajax. J’ai joué plusieurs match en tant que titulaire mais contre l’Ajax, je suis remplaçant. Le coach me fait rentrer et je marque un but qui fait gagner l’équipe 2-1.

Qu’est-ce qu’on ressent quand on joue une telle compétition ?

C’est quelque chose de magnifique il n’y a pas beaucoup de joueurs qui ont eu la chance de la jouer. Je l’ai vécue aussi en Pologne, encore contre le Real Madrid. Le monde qu’il y a dans les stades, la pression, ça va vite, les meilleures équipes au monde… Ça se joue sur des détails et c’est un régal. Aujourd’hui j’ai la chance de la jouer en Asie. C’est différent mais ça reste la ligue des champions avec la même musique, de l’intensité. Je suis fier de la jouer.

Pourquoi ne pas être resté à Auxerre et poursuivre sur cette lancée ?

J’ai eu une blessure au mauvais moment, ça m’a stoppé. Dans un groupe pro, une blessure ça ne pardonne pas. C’est une perte de temps car il y a beaucoup de joueurs. Le coach m’a dit qu’il fallait trouver une solution et ça a été un nouveau prêt à Valenciennes cette fois. Je n’ai pas beaucoup joué car j’ai été opéré au genoux. De retour à Auxerre la saison suivante, le club est descendu en Ligue 2. Je fais une bonne saison, je termine meilleur passeur du championnat.

Arrive alors L’En Avant Guingamp.

Le club était en L2 et me propose de signer 2 ans. Je me retrouve dans un groupe super jeune avec des joueurs que je connaissais déjà, c’était magnifique. Ça se passait bien, on a gagné la coupe de France en 2015, j’étais apprécié par le public. Je garde un très bon souvenir de mon passage dans ce club.

En 2009 tu as aussi connu la sélection en équipe de France Espoir. Pourquoi n’as-tu pas eu plus de sélection d’après toi ? 

En EDF espoir il y a la limite d’âge. J’ai joué quelques matchs qui se sont bien passés dont un tournois au Brésil. Ensuite j’étais trop vieux pour jouer en espoir. Je n’ai jamais eu d’appel pour jouer en A, peut être parce que je n’étais pas bon assez à ce moment-là…

Quelques années plus tard tu passes par la sélection de Martinique.

Je n’ai pas pu jouer avant 2015 car les clubs où j’étais refusaient de me laisser partir. La Martinique n’est pas une nation affiliée à la FIFA… Quand je suis arrivée en Belgique, je n’ai pas laissé le choix au club car j’avais envie de jouer en sélection. Maintenant ça doit être inclus dans tous mes contrats quand je signe. Grace à ça, j’ai pu faire la Gold Cup en 2018, ça s’est bien passé pour moi mais aussi pour la sélection. Aujourd’hui j’ai encore envie de jouer en sélection mais c’est compliqué parce que je suis en Thaïlande. Je ne peux pas quitter la Thaïlande pour aller en Martinique faire un simple match amical, ce n’est pas sensé. C’est risquer les blessures et à 32 ans je ne peux pas prendre ce risque-là. Mais les passage en sélection, je dirais que ce sont les meilleurs moments de ma vie. C’était même mieux que la ligue des champion parce que j’ai joué avec mes amis d’enfance. Les Daniel HERELLE, Kevin PARSEMAIN, Loïc CHAUVET ect… Ce sont des potes d’enfance je peux en citer plein d’autres. C’est la belle vie la sélection de Martinique mais attention, ça reste sérieux et c’est un très bon nouveau. On est parti aux États-Unis pour la Gold Cup, on n’a pas été ridicule, on a fait un beau parcours. Les joueurs ont été sérieux mais on n’a pas eu de réussite.

Pour en revenir à ton parcours en club. Tu en as connu une dizaine à ce jour. Pourquoi ne pas t’être posé à un moment dans ta carrière ? 

À l’époque, je me disais que le plus important pour un joueur de foot c’est d’être stable. Mais au final, dans le foot on ne sait jamais comment les choses se passent. J’aurais voulu faire un seul club mais aujour’hui le plus important pour moi c’est d’être heureux. Partir dans d’autres clubs ça m’a permis de connaitre d’autres personnes. Dans chaque club tout est différent, d’autres cultures, d’autres langues. Ce n’est pas si facile d’aller à l’étranger, c’est à ce moment-là qu’on découvre le caractère d’un joueur. Personnellement, je peux maintenant aller dans n’importe quel club à l’étranger et m’imposer. J’ai voyagé je ne regrette pas du tout.

Quel club t’a le plus marqué ? 

Auxerre c’est le club où j’ai tout connu, c’est aussi mon premier vrai contrat pro. J’ai connu des grands coachs comme Guy Roux, Jean Fernandez, la ligue des champions. À Guingamp je ne suis pas resté longtemps mais j’ai gagné la coupe de France. À Caen ça s’est bien passé aussi Sedan. À Mouscron et à Waasland (Belgique) aussi ça s’est bien passé. Au Legia Varsovie (Pologne) c’était un peu plus difficile. J’ai connu le racisme, j’ai pris la décision de quitter le club à cause de tout ça. Je ne souhaite pas revenir dessus mais c’était vraiment difficile. 

C’est ce qui t’as poussé à chercher un défi où tu te plais ? 

J’étais bien, j’avais un bon salaire mais au football c’est bien de toucher de l’argent mais si tu n’es pas heureux ça ne sert à rien de continuer. C’est ce que je voulais retrouver en venant en Thaïlande, être heureux. Aujourd’hui les gens m’aiment beaucoup, partout où je vais je suis reconnue. Tous les jours je reçois des messages, dans tous les stades je suis applaudi, je n’entends pas des cris bizarres ou d’insultes, je suis souvent interviewé. Je suis respecté, tous les joueurs veulent échanger des maillots avec moi. La dernière fois, lors d’un match contre Nakhon Ratchasima, les supporters m’ont offert des roses. Ça fait vraiment plaisir.

On voit effectivement que tu t’épanouis au sein de ton équipe. 

Oui mon club c’est le seul en Thaïlande où il y a cette ambiance. Quand je discute avec des potes qui jouent dans d’autres clubs ils me disent qu’on a de la chance d’être dans ce club. C’est une bande de potes organisée, on est toujours ensemble. On mange ensemble, on fait la fête ensemble, on va à la mer avec nos familles, c’est magnifique ! On sait être sérieux quand il le faut, évidemment on ne gagne pas tous nos matchs mais on fait une bonne saison. 

La saison se termine dans 2 mois pour toi, quoi de prévu pour la suite ?

Là je suis en fin de contrat, j’ai déjà 6 propositions de clubs. J’ai le choix je verrai si j’ai envie de rester ici, de partir en Belgique ou en France car j’ai eu des propositions en Ligue 1 et en Ligue 2.

Pour finir, quel serait ton conseil pour une jeune qui souhaite se lancer dans cette aventure ? 

Il faut avoir confiance en soi, des qualités de footballeur, de la discipline et un bon agent. Il faut aussi, écouter les anciens, ne pas être trop pressé et ne pas penser tout de suite à l’argent. Il faut savoir que les petits détails font la différence. Tu ne peux pas aller jouer un match et manger n’importe quoi la veille, tu as besoin de sommeil, pas d’alcool. Ça a l’air de rien mais ça compte. Il faut du sérieux sinon tu ne réussis pas. Il y a des moments dans ma carrière où j’ai manqué de sérieux, peut-être que si je l’avais été, je serai meilleur aujourd’hui. Personne n’a jamais dit qu’il ne faut pas faire la fête, tous les joueurs de foot le font. Mais il faut savoir à quel moment le faire et ne pas mélanger les choses et surtout ne pas s’entourer des mauvaises personnes.

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