

Le dernier article de cette série #FoutballMatnik nous amène à parler de la sélection de Martinique aussi connue sous le nom de « Matinino ». Sélection actuellement sur le devant de la scène grâce à ses bons résultats qui lui permettent de participer, pour la 2ᵉ fois consécutive, à la Gold Cup. Cette compétition se déroulera en juin prochain aux États-Unis. Comment se porte cette sélection ? Quels sont ses moyens ? Comment envisager l’avenir ? Voici les questions que j’ai posées à Samuel PEREAU afin d’en savoir un peu plus sur ce moteur du football martiniquais.
Comment se porte la sélection de Martinique ?
Nos Matinino se portent bien, tous les observateurs s’accordent à le dire. Qualifiés pour la Gold Cup 2019 et pour la Coupe Supérieure de la Concacaf Nation League. Si on doit se comparer avec d’autres nations du football caribéen et de la Concacaf, on se positionne globalement dans les dix meilleures équipes de la Concacaf.
Comment jugez-vous l’évolution de cette sélection au cours des dernières années ?
Nous sommes assez fiers de la manière dont les choses ont évolué ces dernières années. C’est vrai qu’il faut distinguer deux périodes : la première des années 90/2000 avec une première participation historique en 1993 après avoir été champion de la caraïbe. En 2001 et en 2002, nous avons eu deux participations successives en Gold Cup même si c’était dans un format différent. La deuxième période a débuté depuis une dizaine d’années avec une présence presque permanente au niveau du football Concacaf. Nous comptons trois participations en Gold Cup (2015,2017 et 2019) dans cette période.
Comment êtes-vous arrivé à trouver une stabilité pour cette sélection.
Nous avons un encadrement qui est aujourd’hui constitué d’un manager général qui s’occupe des relations avec les clubs professionnels et du lobbying avec les instances nationales ou internationales. C’est un ancien joueur professionnel, Frederic PIQUIONNE, qui c’est vrai, a un carnet d’adresses assez bien rempli. Nous avons aussi un staff local avec à sa tête Mario BOCALY, un professeur de sport qui connaît très bien le football martiniquais. Il a manifestement su créer, avec son staff, un relationnel de très grande qualité avec à la fois des joueurs locaux, des joueurs professionnels et une stabilité du reste de l’encadrement. Je parle notamment de l’encadrement médico-technique et de tout ce qui est nécessaire autour d’une sélection pour lui permettre d’avoir de bonnes performances. Je parle aussi de l’organisation logistique, du relationnel avec les administratifs… Donc effectivement, on peut parler d’une certaine stabilité même si évidemment, on peut toujours mieux faire, on ne va pas se mentir. Tout tourne autour des moyens financiers notamment et c’est ce que nous espérons pour notre chère sélection, qu’on puisse avoir des moyens qui se rapprochent de ceux offerts aujourd’hui aux équipes et aux associations affiliées à la FIFA. En plus des moyens que les instances nationales et internationales du football mettent à notre disposition, nous espérons aussi un coup de pouce des partenaires privés et institutionnels martiniquais. On espère qu’ils comprendront que le football, à ce niveau, est un vecteur d’images mais aussi une bonne locomotive permettant l’insertion des jeunes par le sport. Ajoutons à cela également, l’aide des grands systèmes médiatiques qui pourraient nous accompagner au mieux dans ce projet « Matinino » de l’élite du football martiniquais.
C’est une question qui relève plus de l’entraîneur mais je me dois de vous la poser quand même : comment jugez-vous les critiques autour du fait que des joueurs pros viennent en sélection de Martinique et crée un sentiment « d’injustice » chez les joueurs locaux ?
Je crois qu’il n’y a plus de critiques s’agissant de l’apport indéniable des joueurs professionnels. On a réussi à trouver cet équilibre entre locaux et professionnels. La qualité des joueurs pros que nous avons pu sélectionner ces dernières années mais aussi leur état d’esprit fait que toutes ces critiques ont, je pense, disparu. Il y a aussi le fait que finalement, l’ossature de l’équipe de Martinique est une ossature à très forte composante de joueurs amateurs. Cela vient du fait également que nos joueurs amateurs ont acquis une certaine expérience en club puisqu’ils sont issus des meilleurs clubs de Régional 1. Ces clubs participent à des compétitions de haut niveau, je pense notamment au Club Franciscain, au Golden Lion, à L’Aiglon du Lamentin qui ont pu se frotter au haut niveau du football français et international. Ces joueurs locaux sélectionnés ont participé, pour certains d’entre eux, à plusieurs Gold Cup et compétitions de haut niveau dans la Caraïbe. Aujourd’hui, ils ont donc acquis une expérience certaine et sont capables de se hisser à un mode international lors des grandes compétitions. Les joueurs professionnels sont soit des joueurs qui ont commencé leur formation en Martinique comme Jordy DELEM qui est aujourd’hui un joueur professionnel confirmé en MLS (USA). Steeven LANGIL qui lui, a commencé ici en jeune puis est parti dans les plus grands clubs européens et qui évolue aujourd’hui en Thaïlande. Il y a aussi d’autres joueurs qui n’ont pas commencé leurs formations ici, certains ne sont pas nés en Martinique mais sont d’origine martiniquaise. Ils ont adhéré au projet, ils se fondent très facilement dans la masse et dans l’ensemble de cette sélection. Parfois, il est même difficile pour ceux qui ne connaissent pas de faire la distinction entre nos joueurs amateurs et professionnels.
Qu’apporte le statut de membre de la Concacaf à notre sélection ?
Nous nous sommes beaucoup battus pour intégrer la Concacaf en tant que « full member » malgré les réticences de la Fédération Française de Football et du gouvernement français. Nous avons réussi à obtenir (Guadeloupe, Guyane et St-Martin) cette intégration et aujourd’hui, nous voyons tout l’intérêt qu’il y a d’être membre à part entière d’une confédération qui fonctionne bien. Cela nous donne des opportunités sportives pour pouvoir participer à des compétitions locales, régionales ou internationales, et ce, pour toutes les catégories de joueurs et de joueuses. Depuis deux ans d’ailleurs, nous participons régulièrement à toutes le compétitions, nous saisissons toutes les offres sportives qui sont présentées des U15 aux séniors, féminins et masculins. Des opportunités sont également présentes en futsal ou en beach soccer. Évidemment, il y a aussi l’intérêt financier qui est très important puisque la Concacaf développe un certain nombre de dispositifs pour ses associations membres comme le « One Concacaf Program ». Depuis deux ou trois ans, c’est en moyenne 200 milles dollars qui sont mis à disposition des associations membres. Je parle aussi de toutes les autres opportunités en matière de formation des cadres, des administrateurs ou des commissaires. Aujourd’hui, la LFM possède des commissaires Concacaf qui sont capables d’aller organiser des matchs d’importance dans la Caraïbe. Il ne faut pas oublier non plus l’apport pour nos arbitres. L’arbitrage martiniquais est reconnu au plus haut niveau de cette confédération avec Damien ROSA qui est appelé régulièrement dans les compétitions internationales de la Concacaf.
Une des grandes opportunités qu’offre la CONCACAF est de pouvoir participer à la Gold Cup. Quels sont les objectifs des Matinino à quelques jours d’entamer cet exercice ?
La Gold Cup est notre coupe du monde à nous. C’est un très grand honneur pour la Martinique de représenter les territoires français d’Amérique dans cette édition 2019, une lourde responsabilité pèse sur nos épaules (rires). L’objectif est clair : sortir de la phase de poule et atteindre les quarts de finale. On sait que ça ne sera pas facile, nous sommes tombés dans un groupe extrêmement relevé avec la tête de série de la compétition, le Mexique et le Canada. Ce sont deux grandes nations qui ont d’autres moyens que la petite Martinique. Il y a aussi nos frères de la Caraïbe, les Cubains que nous avons l’habitude de rencontrer mais qui viendront certainement avec des ambitions toutes aussi importantes que les nôtres. Bien sûr, l’objectif sera difficile à atteindre, nous avons préparé cette affaire et nous sommes encore en train de finaliser toutes les étapes qui nous permettrons d’essayer d’atteindre cet objectif. Ça passe par la composition du meilleur groupe possible de 23 joueurs. Ça passe aussi par la mise en place et l’organisation d’un stage de préparation d’une dizaine de jours aux USA, nous allons le faire pas loin en termes de fuseau horaire de l’endroit où nous jouerons le premier match. Il y a aussi la finalisation du budget qui est aussi importante.
Des actions particulières seront-elles mises en place pour permettre aux martiniquais de mieux suivre cette compétition ?
Des actions particulières ? Oui. D’abord, nous sommes en discussion avec France TV, Martinique La Première (ndlr : chaîne de télévision locale) pour insister sur le fait qu’il faut absolument que les martiniquais puissent suivre les Matinino en direct à la télévision. Nous savons que ce n’est pas simple car ce média du service public doit trouver les financements pour payer les droits de retransmissions qui sont, d’après ce qu’ils disent, assez élevés. Mais il ne faudrait pas que les martiniquais aient à se rapprocher d’autres télés comme en 2017, où c’est via la télé nationale haïtienne que les martiniquais avaient pu suivre les matchs de leur équipe. Il appartient au service public de se donner les moyens d’offrir à l’ensemble du pays l’opportunité de voir ses jeunes dans une compétition d’un tel niveau. Nous avons aussi des discussions avec la Concacaf, pour voir si on peut apporter un petit concours pour favoriser le déplacement de martiniquais qui le souhaitent notamment pour le match phare de cette poule qui aura lieu le 23 juin (Charlotte, Caroline du Nord) contre le Mexique.
J’ai aussi vu que la LFM a lancé une campagne de financement pour aider la sélection à partir à la Gold Cup. Pourquoi l’avoir mise en place ?
En effet, nous avons sollicité la population dans le cadre d’une cagnotte populaire pour essayer de boucler le budget prévisionnel pour la Gold Cup qui s’élève à 350 mille euros. Si on arrive à aller plus loin que la phase de poule, on avoisinerait les 380, voire 400 mille euros. C’est dans l’air du temps ces cagnottes populaires mais je pense que c’est aussi dans la tradition martiniquaise, voire antillo-guyanaise avec le « koudmen ». Il s’agit de rechercher le concours de gens de bonne volonté qui, comprenant une démarche de projet, peuvent venir apporter leur pierre à l’édifice. C’est dans ce sens que nous avons sollicité non seulement les particuliers mais aussi les entreprises martiniquaises pour apporter un petit grain de riz comme l’indique notre slogan « sé grin di ri ka fè sak di ri » (ce sont les grains de riz qui font les sacs de riz).
N’aviez-vous pas peur de l’accueil qui pourrait être fait à ce genre de démarche ?
Nous l’avons fait spontanément, sans craindre un éventuel mauvais accueil. Nous avons eu raison puisque même si le lancement de cette cagnotte a semblé un peu timide, les choses vont beaucoup mieux. Surtout, il y a pas mal de participants particuliers et de petites entreprises qui ont réalisé des dons directement à la LFM grâce à la campagne de publicité qui a été faite autour de tout cela. À l’heure où on parle, on avoisine l’objectif qu’on s’était fixé à l’époque où il manquait à peu près 60 mille euros et je pense qu’on atteindra cet objectif.
Sentez-vous une ferveur particulière autour de cette compétition ?
Oui, on en parle beaucoup en particulier grâce à un travail de communication réalisé par une jeune entreprise en communication martiniquaise « Alexs » avec à sa tête deux jeunes, Céline et Axel, qui réalisent la communication numérique, l’organisation et la promotion de cette affaire. Ils nous accompagnent également dans tous les aspects marketing puisque des produits dérivés ont été mis en vente et vont permettre de pérenniser une action de marketing au-delà même de l’opération Gold Cup.
Projetons-nous vers l’avenir, Septembre 2019, l’après Gold Cup, quels seront les objectifs pour la suite ?
Les objectifs de l’après Gold Cup vont arriver assez vite puisque dès septembre 2019, la Martinique va débuter sa participation à la Concacaf Nation League dans le groupe A avec le Honduras et Trinidad et Tobago. Il y aura deux matchs contre chacune de ces équipes. Cette phase va permettre de qualifier la Martinique pour la suite de la compétition. C’est là aussi un enjeu important de visibilité de prestige pour notre sélection et puis bien sûr pour l’ensemble du pays Martinique.