

Après avoir présenté la demande d’intégration à la FIFA de la Ligue de Football de Martinique, Samuel PEREAU répond à quelques questions autours de ce sujet.
La Fédération française de football vous donne-t-elle des raisons pour expliquer ce refus d’émancipation ? Si oui, quelles sont-elles ?
En créole, on dit qu’on vous « tourne en bourrique » … Tantôt, c’est parce qu’on fait allusion au statut de nos territoires. La fédération nous dit qu’elle ne peut pas prendre la responsabilité de nous donner l’autorisation d’intégrer l’instance comme membre parce que ça posera des problèmes d’équilibre du football et du sport français en général. Il faudrait donc qu’on ait l’autorisation du ministère du gouvernement. On nous a fait rencontrer à l’époque M. BRAILLARD, secrétaire d’état au sport ou M. KANNER, ministre de la Ville et des sports. On nous a dit que juridiquement ce n’était pas possible mais on ne sait pas sur quel article ils se basent pour dire ça. On propose notre dossier avec un argumentaire en béton sur l’intérêt que ça représente pour nos territoires. On nous dit : « vous imaginez que la Martinique pourrait être opposée à l’équipe de France ? ». Nous répondons que oui, dans l’absolu, ça pourrait être possible comme ça pourrait être possible que la Nouvelle-Calédonie ou Tahiti rencontre la France dans une compétition. C’est incompréhensible… Le pire, c’est que dans le même temps, on nous dit que c’est « l’unité nationale » que nous sommes considérés comme n’importe quel département français… Lorsque nous évoquons les questions d’égalité réelle des chances, on voit bien que nous ne sommes absolument pas comme n’importe quel département français puisqu’il y a manifestement des situations d’exclusion. L’ultra périphérie, les questions de coûts, de forte spécificité font que nous ne pouvons pas avoir le même développement que les autres.
Comprenez-vous ce raisonnement ?
Nous sommes assez amers lorsque nous revenons régulièrement sur ce dossier. Nous essayons d’être entendu et de faire comprendre à nos tutelles que c’est véritablement une opportunité pour le développement de nos territoires. On a du mal à comprendre pourquoi il y a tant de réticences autour de cette question. On imagine qu’il y a des raisons géopolitiques, d’enjeux sportifs supérieurs et que quelque part, les dirigeants de la fédération ont peut-être peur de perdre l’avantage de ce vivier de joueurs. Ils ont peut-être peur d’une forme de déstabilisation du football français puisque notre territoire comporte de grosses potentialités. Ils ont peut-être peur de ce qu’ils ont eu à affronter ces dernières années avec les questions liées aux joueurs binationaux. Moi, je le dis, ce n’est pas très honnête de refuser cette opportunité de développement pour nos petits pays qui sont frappés par tant de handicaps. Ça rentre dans le cadre des questions liées à l’égalité des chances des populations des DOM-TOM. Ça rentre aussi dans le cadre des souffrances de nos nations depuis des décennies avec notre histoire coloniale puis les difficultés de développement postcoloniales. Cela continue jusqu’à présent avec les difficultés que nous avons en termes de santé publique, de pollution, voire d’empoisonnement avec le chlordécone, la gestion des sargasses… Il y a toute une série de choses qu’on pourrait évoquer qui traduisent ce malaise qui existent entre cette mère patrie et ses anciennes colonies. Il y a forcément des choses obscures ou des non-dits qui sont derrière ce dossier. Moi, je prends mes responsabilités pour dire que c’est la marche de l’Histoire, un jour ça se fera.
J’ai envie de vous demander s’il ne vaudrait pas mieux « se battre » avec la Fédération Française pour obtenir plus de moyens plutôt que d’essayer de devenir membre à part entière de la FIFA ?
Bien sûr que nous nous battons également pour qu’il y ait une égalité réelle des chances entre notre football et celui de l’Hexagone mais le problème c’est qu’il n’y a pas d’argent. L’ultra périphérie dans laquelle nous nous trouvons coûte cher. « Trop loin, trop cher, trop spécifique », c’est ce qu’on nous évoque quand nous demandons un peu plus d’investissements de la part de notre fédération pour nous permettre au moins, d’être traité d’égal à égal avec le foot français. Moi, je suis très à l’aise pour parler de ça mais nous ne sommes pas obsédés par la question d’intégration FIFA. Cependant, nous disons que c’est une opportunité qu’il ne faut pas rater compte tenu du fait que la fédération, l’état, les ministères des Sports et des outre-mer n’ont pas les moyens financiers nécessaires pour permettre un développement, ne serait-ce que normal, du sport aux Antilles-Guyane et en particulier du football. On peut prendre des exemples, cela a un peu défrayé la chronique dernièrement, la question de l’injustice et de l’iniquité du traitement des clubs antillo-guyanais en coupe de France. On l’a vu récemment avec l’épopée de l’Aiglon du Lamentin qui est arrivé en 32ᵉ de finale contre l’US Orléans club de L2 avec plusieurs divisions d’écart.
Pour en revenir à notre dossier FIFA, avez-vous déjà pensé à une autre possibilité si cela venait à traîner encore longtemps ?
Puisque nous avons du mal à obtenir cette intégration en tant que “full member”, nous avons entamé une démarche avec la FIFA. Elle nous a été soufflée directement par Gianni Infantino qui nous a dit « si vos fédérations de tutelle n’acceptent pas pour l’instant de vous laisser intégrer la FIFA comme membre à part entière, je vous propose un statut provisoire de membre associé ». C’est quelque chose que nous avons accueilli avec beaucoup de satisfaction. La première étape de la réalisation de ce statut de membre associé a été franchie en mars 2018 où nous avons été invités à signer une convention de coopération avec l’instance internationale. Six territoires de la caraïbe : St-Martin, Martinique, Guadeloupe, Guyane, Seen-Martin (partie hollandaise) et l’île de Bonaire qui sont dans la même situation que nous et qui souhaitent accéder au statut de membre de la FIFA. Nous avons signé une convention de coopération avec à la clé, une dotation de 300 mille dollars par an fléchés sur des développements qui concernent notamment les pratiques de jeunes en général et la formation des cadres. Nous sommes contents d’avoir franchi cette étape et nous considérons qu’il ne s’agit que d’une étape. Dès que possible, en particulier après la réélection de Gianni INFANTINO à la FIFA en juin prochain, nous repartirions au combat pour faire évoluer de façon plus conséquente ce dossier.
Parlez-nous de cet événement justement.
Le droit commun de cette Coupe de France permet, oblige même que lors d’un match « le club le moins bien classé lorsqu’il y a au moins deux divisions d’écart puisse recevoir ». Malgré cette règle, nous ne pouvons pas recevoir aux Antilles. On nous donne des explications fallacieuses « c’est trop loin, c’est trop compliqué pour les clubs pros de se déplacer ». Nous avons demandé de jouer en région parisienne pour permettre de rétablir un peu l’équité avec un public constitué de la communauté Antillo-guyanaise qui pourrait venir supporter cette équipe martiniquaise. Pour nous, ça serait un juste retour des choses de permettre à la communauté Antillo-guyanaise de la région parisienne de pouvoir, comme ça se faisait auparavant, venir pour un moment de convivialité dans un stade à Paris ou dans la proche périphérie. Cela se faisait avant à St-Ouen ou à Créteil plus récemment… Tout cela nous est refusé. Alors que de l’autre côté, la « Coupe de l’Outre-Mer » n’existe plus. Elle permettait aux sélections des DOM-TOM de pouvoir venir en région parisienne pour une fête sportive et conviviale, pour échanger, voir autre chose que le ronron dans lequel on se retrouve dans nos territoires. Cette coupe n’existe plus parce que ça coûtait cher, entre 800 milles et 1 million d’euros tous les deux ans à organiser.
Un autre problème rencontré durant ce parcours en coupe de France a été la non diffusion télévisée dans les DOM-TOM, quelle était l’explication à ça ?
C’est un scandale dans le scandale. Les droits de télévision à ce stade de la compétition, appartiennent cette année à France Télévision et Eurosport, ils ont décidé de faire un multiplex sur ces matchs. Les martiniquais et autres antillais abonnés ont pu voir quelques extraits du match de l’Aiglon et la totalité des prolongations puisque c’était le seul match qui avait été en prolongations. Ce que nous disons et que nous avons dénoncé auprès de la fédération française, c’est l’absence de possibilités pour les martiniquais de voir ce match à la télé. Ça a été un effet collatéral du positionnement de ce match à Orléans. Si on avait appliqué les éléments du droit commun de la coupe de France, ce match aurait dû avoir lieu en Martinique, un maximum de martiniquais aurait donc pu voir cette rencontre. C’est là, une fois de plus, un élément de dysfonctionnement et de discrimination de la situation du football des Antilles-Guyane au sein de cet ensemble fédéral. On ne peut pas jeter la pierre à Martinique la Première qui n’a pas eu les moyens d’acheter les droits à France Télévision ou Eurosport. Ça peut se comprendre parce qu’acheter ces droits revenait à acheter l’ensemble des droits de la coupe de France alors que ce qui pouvait intéresser cette chaîne, c’est uniquement le match de l’Aiglon du Lamentin.
Pour en revenir au statut de la Martinique, s’il y a une chose bien acquise à ce jour, c’est le statut de membre de la Concacaf.
Nous sommes un membre à part entière de la Concacaf depuis 2013. C’est l’aboutissement de la volonté de ceux qui m’ont précédé à la tête de la Ligue de Football de Martinique notamment l’ancien président Félix CHAULEAU qui est décédé récemment. Il avait d’ailleurs manifesté son mécontentement en démissionnant face au refus de la Fédération Française de laisser la Martinique intégrer la Concacaf. D’autres présidents, notamment M. URSULET ou M. RAPON à qui j’ai succédé ont œuvré aussi pour permettre l’intégration du football antillo-guyanais au sein de la Concacaf. C’est en 2013 sous ma mandature alors que M. Jeffrey WEB était président de la Concacaf que nous avons obtenu cette intégration avec les autres associations de Guadeloupe, Guyane, St-Martin, Seen-Martin et Bonaire. C’est quelque chose qui est extrêmement profitable pour nos petites associations, nous bénéficions des programmes de développement de la Concacaf, par exemple, le “ONE CONCACAF PROGRAM”. Cela ressemble au programme “Forward” de la FIFA qui permet chaque année d’avoir des subventions de l’ordre de 250 mille dollars par an. C’est grâce à ses aides financières que nous recevons depuis quatre ans ou cinq ans que nous avons pu faire un certain nombre de développements. Cela nous a aussi aidé à traverser une période extrêmement difficile puisque la ligue de football de Martinique était durant une dizaine d’années dans une situation économique extrêmement difficile. Aujourd’hui et grâce à toutes ses opportunités, nous voyons le bout du tunnel et nous sommes contents, nous remercions toutes ses instances qui nous ont permis d’avancer.
De façon concrète en quoi consiste cette affiliation à la Concacaf ?
Nous bénéficions bien évidemment de tout ce qui est programme de formation des éducateurs et des arbitres. Nous sommes fiers aujourd’hui de voir que quelques-uns de nos meilleurs jeunes arbitres sont dans des filières de processus d’internationalisation de leurs activités. Je pense à des garçons comme Damien ROSA, jeune arbitre martiniquais, reconnu aujourd’hui comme l’un des meilleurs jeunes arbitres de la caraïbe et des Amériques. Il est régulièrement convoqué pour arbitrer des matchs internationaux. Il y a d’autres garçons comme Wilhenson DUTERVILLE qui part régulièrement arbitrer dans la caraïbe. Nicolas WASSOUF fait aussi la fierté de l’arbitrage martiniquais, il a réussi brillamment ses examens et est désormais reconnu au niveau fédéral et de la Concacaf. Nous avons beaucoup d’autres développements et opportunités pour nos éducateurs qui sont reconnus à la fois dans leurs fonctions locales et internationales. Le conseiller technique sportif, M. Jocelyn GERME, est un instructeur reconnu de la Concacaf et qui part régulièrement pour des formations sous l’égide de la Concacaf. Nos dirigeants aussi bénéficient de formations de commissaires, nous en avons deux aujourd’hui qui sont commissaires Concacaf. M. Maurice VICTOIRE, membre du comité directeur de la Ligue de Football de Martinique est un membre du conseil de la Concacaf. Il y aurait beaucoup à dire sur les opportunités et sur cette richesse que nous a apporté cette intégration au sein de la Concacaf. Nous leur rendons bien puisque aujourd’hui, s’il faut parler de nos associations des DOM-TOM continuent à briller dans les compétitions de la Concacaf. La Martinique est classée parmi les dix meilleures nations des Amériques. Les clubs martiniquais ont eu des parcours intéressants avec le club franciscain, par exemple, qui en tant que club amateur, s’est hissé au niveau des clubs professionnels de la Concacaf.
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