Agée de 23 ans et originaire de Terre de Haut en Guadeloupe Lindsey THOMAS est une jeune joueuse professionnelle actuellement prêtée à Dijon par le Montpellier Hérault Football Club. Initiée par un cousin, Lindsey a fait ses premières gammes à l’âge de 7ans dans le club de sa commune, l’Association Jeunesse Sportive Saintoise. Seule fille parmi les garçons, il a vite fallu trouver une solution pour qu’elle puisse continuer à s’exprimer. En 2010, grâce à son ancien entraîneur, Samuel Peter, elle s’envole pour le club de Blanquefort afin de poursuivre son rêve de devenir footballeuse professionnelle.
Lindsey, comment cela se passe pour toi à Blanquefort ?
J’étais en sport étude, Blanquefort (Nouveau FCGB) n’était pas un club professionnel mais son équipe première jouait en D2 même si je ne pouvais pas jouer avec elle à cette époque car j’étais trop jeune. Je m’entraînais une fois avec le club, le vendredi soir, le reste de la semaine j’étais à l’école et je jouais le week-end avec la DH. Les premiers mois ont été un peu compliqués, je suis quelqu’un de très introvertie, je n’avais pas l’habitude d’être tout le temps avec les filles. Je traînais plus avec les garçons sur ma petite île. La famille était un peu loin, il y avait aussi le coup de blues au début. Mais je ne suis jamais revenue en arrière, même dans les moments compliqués je n’ai jamais dit que je voulais rentrer chez moi. J’avais pour but de devenir footballeuse professionnelle et ça passait par cette étape-là. J’ai pris sur moi et au bout de deux ou trois mois ça allait mieux. Au niveau des études, ça à continuer à suivre je n’ai pas eu de difficultés à ce niveau-là.
Quelles sont les difficultés que tu as rencontrées en arrivant ici ?
Ça a été au niveau des familles d’accueil. La semaine j’étais à l’internat et le week-end je devais être en famille d’accueil. Au début ma famille avait contacté une famille, c’était des amis, ils étaient d’accord j’allais chez eux du vendredi soir au dimanche soir. Au bout d’un mois ils ont changé d’avis. On a trouvé une deuxième famille toujours des connaissances, ça a été au début et puis ils ont changé d’avis au bout de deux semaines. À partir de ce moment-là, je suis allée chez un peu tout le monde de mon club le week-end. Le vendredi après l’entraînement les dirigeants se mettaient d’accord pour dire « Lindsey tu vas chez telle personne ce week-end ». Mais j’étais principalement chez trois familles celle de l’ancien président du club avec qui je m’entendais bien, celle d’une adjointe ou d’une coéquipière.
Tu n’as pas été déstabilisée par cette situation ?
Ça ne m’a pas perturbé pour autant, je m’y suis vite habituée et j’en garde de bons souvenirs. J’ai rencontré de très bonnes personnes là-bas avec qui je suis encore en contact. J’ai gagné en autonomie, je me débrouillais toute seule pour mes papiers, mon argent de poche, ça m’a fait grandir plus vite que les autres. Je pense que c’est ce qui a fait qu’aujourd’hui je suis aussi bien cadrée dans ce que je veux. Ça m’a permis d’avoir de la rigueur. Ma famille a aussi été très présente. Au début je devais les appeler tous les jours pour savoir comment ça allait à 8000 Kms, ce n’était pas évident. La famille a toujours été là, ils étaient d’accord avec le foot mais il fallait assurer derrière avec les études. C’est ce que je me suis attachée à faire.
Tu n’as pas eu l’impression qu’il y avait un décalage entre ce qu’on t’avait annoncé en partant et la situation dans laquelle tu te trouvais ?
Je ne pense pas que la réalité est autre que ce qu’on m’avait dit au départ. Quand je suis arrivée je savais que j’allais être en sport étude, que je n’arrivais pas dans un club pro. J’avais fait ma part de boulot qui était de trouver une famille d’accueil, en revanche c’est la famille d’accueil qui n’a pas assuré son rôle. Mais le club a été là pour trouver une solution, pour que j’ai un toit. C’est juste que quelquefois il y a des aléas.
Penses-tu que le système d’accueil aurait pu être différent ?
Il y a une différence entre le foot féminin de maintenant et de celui d’il y a 4 ou 5 ans. Les choses évoluent il y a de plus en plus de structures qui se professionnalisent pour les jeunes… Généralement on commence avec les garçons ensuite le sport étude. Il y a plusieurs pôles reconnus en France : Paris avec l’INF Clairefontaine puis au PSG, Lyon ou encore, Montpellier qui sont les meilleurs centres chez les filles. Tout est bien huilé entre le foot, les études, l’internat, la famille d’accueil. À 18 ans si tu en as la possibilité tu prends ton appartement. Je suis pour que les clubs continuent à mettre en place ce double projet qui permet aux jeunes filles d’aller le plus loin possible dans les études et dans le même temps continuer à jouer au foot et pourquoi pas avoir la chance de devenir professionnel. Chez les filles on ne gagne pas ce que gagnent les garçons même si certaines peuvent en vivre. Celles qui sont entre deux doivent encore continuer à avoir ce projet d’avoir un autre métier à coté parce que tout peut s’arrêter très vite. Ce n’est pas avec ce qu’on gagne actuellement qu’on pourra assurer notre avenir. Je suis pour cette professionnalisation qui s’étend en France mais il faut encore penser aux études qui peuvent permettre une reconversion une fois qu’on aura fini ou qu’on ne voudra plus jouer.
Tu quittes Blanquefort pour une structure professionnelle, le MHSC. Est-ce que pour toi ça a été une continuité ou tu as vraiment senti un changement par rapport à Blanquefort ?
J’ai été repérée par Ouda LATAF, (ancienne joueuse du MHSC) qui a parlé de moi au coach des U19 de l’époque, M. DELEPINE Nicolas et qui m’a fait venir faire un tournois de fin de saison avec Montpellier. Ça s’était bien passé donc il m’avait dit qu’il acceptait que je vienne chez eux en formation.
Arrivée au MHSC, je sens un vrai changement, c’est un club qui continue sa professionnalisation et qui est axé sur la formation de jeune joueuse. Je m’entraînais tous les jours, les études la journée puis entraînement en fin de journée. J’ai continué la formation que j’avais commencée à Blanquefort mais j’ai senti que je rentrais dans une formation beaucoup plus structurée, plus proche du milieu professionnel. Il y a des changements dans le rythme de vie, dans la façon de travailler, dans l’exigence… Là on prend conscience qu’on est dans un milieu beaucoup plus exigent qui permet le développement de jeunes joueuses pour essayer de nous emmener au plus haut niveau. Oui il y a un changement mais je m’étais déjà programmée pour ça, je savais pourquoi j’étais là. Comme partout il y a des moments où c’est plus compliqué mais ça ne m’a pas empêché de faire mes 3 années de formations au cours desquelles j’ai été 3 fois Championne FranceU19 avec le MHSC. J’ai eu une bonne formation, je suis contente d’avoir été formée au MHSC.
Tu deviens une joueuse professionnelle, comment tu envisages la suite à partir de ce moment-là ?
À mes 18 ans j’ai la chance de signer mon contrat pro avec mon club formateur. Je me dis que ce n’est que le début, la finalité ce n’est pas de signer son premier contrat mais de pouvoir un jour se poser et de se dire « j’ai fait une belle carrière, j’ai laissé mon empreinte dans le foot féminin, j’ai gagné des titres, j’ai été en équipe de France A… ». Pour ça je savais qu’il fallait travailler deux fois plus parce qu’intégrer le groupe pro et avoir une place de titulaire ce n’est pas évident. Il y a encore plusieurs étapes après la signature de ce contrat-là. Ça se fait en plusieurs phases pour moi.
Parle-nous un peu plus de ce début de carrière professionnelle.
Au moment où je signe mon contrat j’ai encore une année devant moi pour jouer en U19. Je m’entraîne avec la D1 et je joue en U19 le week-end. L’année où je ne peux plus jouer en U19 je ne peux jouer qu’en D1 car pas de DH à l’époque au MHSC. Quand je ne jouais pas j’étais à la maison, ce qui n’est pas forcément évident quand tu es jeune, le niveau d’exigence est beaucoup plus élevé. J’ai été prêtée au FC Bale en 2015 pour m’aguerrir, avoir du temps de jeux, de l’expérience, savoir comment aborder les matchs ; m’approcher du niveau que je dois atteindre pour jouer en D1 Féminine.
À la suite de ce prêt là je reviens au MHSC, je me sens beaucoup mieux, je fais une bonne saison, j’ai plus confiance en moi. Avant mon prêt j’étais beaucoup trop timide, trop frêle (rire). Dans le foot féminin on ne peut pas être comme ça il faut avoir son caractère pour ne pas se laisser marcher dessus. Je me dis que j’ai les cartes pour pouvoir m’imposer et m’exprimer pleinement dans mon club formateur, être titulaire, mettre ma pierre à l’édifice dans cette équipe. De plus je venais de participer à une nouvelle qualification en ligue des champions de l’équipe depuis quelques années… Je me dis voilà, ça fait du bien, je grandis je passe les paliers même si je n’ai que 21 ans…
Pourtant tu n’arrives toujours pas à t’exprimer au sein de ton club formateur.
Oui voilà comme on dit, rien n’est jamais acquis. La saison suivante, ça ne se passe pas comme je veux au MHSC. Je suis de nouveau prêtée pour 6 mois au Football Club Des Girondins de Bordeaux un club qui commence à se professionnaliser. Je fais ce prêt encore une fois dans l’optique de revenir plus forte et pour pouvoir m’imposer dans mon club formateur. Mais parfois même quand on essaye de mettre toutes les chances de son côté pour pouvoir réussir, qu’on a envie, il y a toujours des aléas. Je ne fais pas la saison que j’aurais voulu faire, je n’atteins pas mes objectifs. Et là tu te dis retour à la case départ. Il faut recommencer, avoir des certitudes, se remettre au boulot pour atteindre le niveau qu’on avait atteint et qu’on n’a pas pu continuer à exprimer pour plusieurs raisons même si je ne suis pas du genre à me trouver des excuses.
Où en es-tu aujourd’hui ?
Je suis encore sous contrat avec Montpellier, je devais recommencer ma saison avec le club mais ne faisant pas partie des plans du coach, ils ont voulu un nouveau prêt avec mon accord pour que je puisse m’aguerrir et que je sois prête le moment venu. J’ai accepté un nouveau prêt, me voilà à Dijon pour me relancer, continuer à grandir, être performante et efficace. Mon objectif et je ne m’en cache pas c’est d’aller en équipe de France A et pourquoi pas avoir la chance de disputer cette coupe du monde en France en 2019. Je pense que c’est l’objectif de toutes les joueuses qui jouent en D1 cette saison, faire la meilleure saison possible pour être dans le groupe des 23 pour cette coupe du monde.
L’équipe de France justement tu es une habituée des sélections. Qu’est-ce que ça représente pour toi ?
Plus jeune, j’avais du mal avec cette notion d’« Equipe de France », je ne suis pas quelqu’un qui aime se mettre en avant. J’étais un peu mal à l’aise avec ce sujet-là, quand on me félicitait ou me charriait par rapport à ça j’avais un peu de mal parce que j’étais très timide. Mais au fil du temps je commence à m’y faire, être appelé en équipe de France c’est une fierté. Ça veut dire aussi que les sacrifices faits plus jeune vont peut-être porter leurs fruits. Peut-être qu’un jour j’aurais cette chance de gravir la plus haute marche et la plus difficile qui est d’aller en Equipe De France A. J’ai eu cette chance de représenter mon pays lors de l’Euro U19 qu’on a gagné et de la coupe du monde U20 où on finit sur la 3ème marche. Pour le moment je suis entre les deux, je suis en EDF B où on commence à faire des tournois, ça se rapproche de ce qu’on peut avoir en EDF A mais ce n’est pas encore tout à fait ça.
Une fois que j’aurais réussi à gravir cette marche, je serai d’autant plus fière de me dire que je suis partie de très loin, que j’avais un projet en tête, une ligne directrice et que je ne m’en suis jamais détachée. Ce serait une fierté de se dire qu’on a fait des sacrifices et que ce n’était pas pour rien, qu’on a touché au but ultime. Partir de chez soi à l’âge de 15ans et être en équipe de France plusieurs années après, ça me ferait plaisir. Ce n’est pas encore le cas j’ai fait le travail à moitié, il manque la plus belle marche.
Quel souvenir gardes-tu de tes deux épopées en Equipe de France ?
J’étais assez jeune, c’était mes premières sélections en EDF, je n’étais pas très expressive. La victoire en U19 j’en garde un bon souvenir ; comme dans toute compétition où on gagne même si j’étais plus dans la peau d’une remplaçante qui rentrait en bout de match. On vit la compétition différemment, on est là pour faire bosser les autres et les emmener le plus loin possible dans la compétition. Ça m’a fait grandir, ça m’a fait être à l’aise avec cette notion d’Equipe de France. Au Canada c’était une compétition différente, j’avais muri, j’étais plus à l’aise, j’ai eu aussi mon rôle à jouer sur un ou deux matchs. Malheureusement on butte en demi contre les allemandes donc voilà un peu déçue parce que je pense que si on gagne cette demie on va au bout. Mais voilà une 3ème place en coupe du monde U20 ça reste un bon souvenir. En revenant de cette compète j’ai senti que j’avais franchi un pas dans ma progression que j’avais commencé à passer des paliers… J’avais fait cette compétition avec deux coéquipières en club dont une BUENO Margaux avec qui j’avais fait ma formation au MHSC. A l’époque c’était mon acolyte, je garde de très bons souvenirs de cette compétition avec elle. C’est aussi là que j’ai fait la connaissance de LEBIHAN Clarisse qui un an après arrive au MHSC et qui est devenue une très bonne amie depuis. Finalement une compétition remplie de grands fous rires, de grands moments entre les matchs. Ce sont de chouettes compétitions à vivre, quand on est jeune. De bons souvenirs en espérant pouvoir le vivre avec l’équipe A dans l’avenir.
Quel serait ton conseil pour un jeune qui souhaite se lancer dans cette aventure ?
Il faut y aller, se lancer, ne pas trop se poser de questions, profiter des opportunités qu’on peut avoir. Il faut aussi savoir qu’il y aura des moments compliqués où on se sentira plus bas que terre, où on aura du mal à se relever. Mais si on se donne les moyens, si on travaille, si on est rigoureux dans ce qu’on veut si on s’est fixé un plan et des objectifs, peu importe le temps qu’on prendra, les difficultés qu’on rencontrera… Si ça doit bien se passer, ça se passera bien. Le tout sans oublier les études, j’insiste un peu sur ça, même si la différence entre les filles et les garçons est notable certes mais que ce soit une jeune fille ou un jeune garçon qui souhaite se lancer, il faut toujours garder la tête sur les épaules, garder ces études qui restent importantes parce que le foot ça peut très vite s’arrêter et on peut se retrouver sans rien. Il ne faut rien lâcher, garder sa ligne de conduite, il n’y a pas de raison qu’on n’aille pas au bout si on se donne les moyens, même s’il y aura toujours des plus forts que d’autres. Toujours s’entourer des bonnes personnes, celle qui apportent quelque chose de positif, qui donnent de vrais et bons conseils. La famille compte beaucoup également. C’est important dans ce milieu-là pour ne pas se laisser influencer par les mauvaises personnes.