
Né à Brive-la-Gaillarde et originaire de la Martinique, Marvin ESOR a commencé le football tardivement grâce à ses camarades de classe. C’est à l’âge de 6 ans à l’US USSAC, petit club de campagne, qu’il fait ses débuts avec ses copains et inspiré par le parcours de George WEAH. Il traversait toute la ville avec sa mère pour aller jouer dans ce club où il me confie avoir été le seul joueur de couleur du club, « la mascotte ». Si la vitesse était son point fort, il reconnait avoir été un peu faible techniquement. Vient ensuite le moment où les recruteurs rentrent en jeu : Bordeaux, Montpellier, Châteauroux et Toulouse. Le lendemain de la finale de la coupe du monde 98, vêtu d’un maillot du Brésil, il rencontre le recruteur du Football Club des Girondins de Bordeaux qui l’interpelle alors qu’il mange avec sa mère. Cela a été le début du parcours qui l’emmènera à devenir footballeur professionnel quelques années plus tard. Grâce au recul que lui offre sa retraite, j’ai proposé à Marvin de choisir cinq moments qui l’ont marqué durant sa carrière afin de nous faire découvrir son parcours. Il se raconte…
2002 : Mon arrivée au centre de préformation de Bordeaux
Depuis mon plus jeune âge, mes parents m’ont toujours inculqué le fait que je suis venu sur terre pour faire quelque chose et qu’il ne fallait pas que je compte sur les gens. À partir du moment où je rentre au FCGB, je quitte ma mère, je dois aller au bout et réussir ce que je suis en train d’entreprendre. Alors en soi, les difficultés, je n’en ai pas vraiment ressenties. J’étais vraiment focus dès le plus jeune âge, je savais ce que je voulais faire, il n’y avait qu’un plan A pas de plan B. À l’âge de 15 ans, j’ai rencontré Gilles MESLIEN, mon meilleur pote. Quand il est arrivé on a été connecté parce qu’il venait de la Martinique, donc je l’ai pris sous mon aile. Dès le premier week-end où il ne pouvait pas rentrer chez lui, je l’ai invité chez ma mère. Ça a fini de m’asseoir sur le fait qu’en vrai, il n’y avait pas de difficultés réelles pour moi comme la distance que certains devaient supporter. Dans ce sens-là j’étais un peu précoce dans ma tête, à 15 ans cette vérité qu’on me disait étant petit s’est avérée concrète quand j’ai rencontré Gilles. Bordeaux me propose un contrat professionnel d’un an à la fin de ma formation. Je connaissais les conditions, j’aurais joué avec la CFA et je ne trouvais pas mon intérêt à ça. J’avais une proposition à Lens mais il y avait Serge AURIER ça aurait été plus compliqué sur la durée pour moi parce qu’il était plus jeune. Je suis parti pour ARLES en Ligue 2 où je savais que j’allais jouer parce que le coach me voulait, j’ai signé pro directement à 19 ans et j’ai commencé titulaire. Ma première année l’équipe venait de monter de national, j’ai joué toute la saison.

2008 : Finale de la coupe Gambardella avec Bordeaux perdue contre le Stade Rennais.
On a eu un parcours super difficile durant lequel on ne rencontre que des clubs pros : Toulouse, Laval et Lorient. On joue la demi-finale contre le Havre qui était invaincu, c’était un combat, ça s’est fini en séance de tirs au but. À cette époque, on avait une belle équipe, il y en a pas mal qui sont devenus pros par leur propre moyen après cette finale. Arrivé en finale au Stade de France, on a déjoué sur le score, les Rennais étaient plus armés mentalement que nous. Ils étaient prêts pour la compétition et nous, c’est ce que nous n’avions pas encore à notre âge. Dans leur équipe il y avait des joueurs comme M’VILLA, BRAHIMI, LE MARCHAND… Ils étaient déjà armés psychologiquement et mentalement pour gagner. Nous, on voulait jouer et gagner, on voulait que ce soit la finale parfaite. Ça a été une grosse déception, pour tout te dire, je n’ai même pas de souvenirs du Stade de France ou de cette journée-là… On est passé complètement à côté, ça a été ma première grosse gifle… Parce que tu perds des finales en tournois mais là Gambardella à cet âge-là, c’est comme si c’était ta Ligue des champions en fait. C’était compliqué mais ça nous a permis d’apprendre ce qu’était une finale.

2010 : Ma première sélection en équipe de France
J’ai dû faire sept ou huit sélections en tout mais c’était surtout des tournois en jeune. Ensuite j’ai eu des présélections puis j’ai joué avec les Espoirs. Les deux dernières sélections que j’ai faites avec les Espoirs c’était contre le Danemark lors du tournoi de Toulon, j’avais déjà signé pro. Pour certains, à un moment, je pouvais postuler en équipe de France A. Pour moi, c’était un but oui et non, à l’heure où je suis en sélection forcément je me dis qu’un jour j’y arriverai mais bon… Il y avait Sébastien CORCHIA et Djibril SIDIBE qui postulaient, eux aussi, pour les A, nous avions un peu les mêmes caractéristiques. C’est SIDIBE qui y est allé, les aléas du foot on fait que ça s’est passé comme ça. C’était une bonne expérience que de représenter la France.
2013 : Ma première sélection avec la Martinique
José PIERRE-FANFAN m’avait proposé ce challenge de faire partie des premiers pros à aller jouer pour la Martinique. À partir de là, on a commencé à sensibiliser pour qu’il y ait d’autres pros qui viennent. C’était lors de ma dernière année avec le Clermont Foot et j’avais vraiment insisté pour y aller. Je revenais de blessure, j’en ai profité pour dire que ça me donnerait du temps de jeu et que ça me permettrait d’être aux côtés de ma famille. Symboliquement, c’était important pour moi, j’ai toujours aimé la ferveur, l’ambiance antillaise au foot. C’était une opportunité de jouer au pays parce que hormis lors d’un swé* avec les gars, je n’avais pas l’occasion de jouer là-bas. Ce qui était important aussi pour moi, c’était de montrer les joies du monde pro parce qu’il y en a beaucoup qui partent du pays pour devenir pro et qui reviennent sans avoir réussi. Je pense qu’ils ne véhiculent pas forcément les plaisirs du monde pro, mon but, c’était de pouvoir montrer ça. Ça s’est très bien passé, c’était avec Patrick CAVELAN et Jean-Marc CIVAULT. Après ils m’appelaient tout le temps mais je ne pouvais pas y aller parce que le club ne me libérait pas toujours. Ensuite, on a travaillé avec Jean-Maurice VICTOIRE pour qu’il puisse se battre au niveau de la FIFA pour que les dates FIFA et CONCACAF soient mises en même temps pour faciliter la venue des pros. Après ça a facilité le travail. C’était symbolique pour moi de jouer avec la Martinique et de représenter mes terres d’origine, d’être fier. J’ai vécu beaucoup plus d’émotion avec la Martinique qu’avec l’EDF. En Martinique, je me souviens de pleins de matchs où j’ai eu des frissons. Il y avait aussi l’envie de pouvoir apporter un message pour la jeunesse, c’est le seul moment où tu peux réunir tout le monde. Je me rappelle un match à Rivière-Pilote, on perdait contre Barbade, tout le monde nous insultait à la mi-temps… ça, c’est le public antillais. Quand on s’est réveillé en deuxième mi-temps, on gagnait 4-2, c’était une ambiance de malade un truc de fou et ça a réuni tous les antillais… La ferveur du football dans notre société. Avec la sélection de la Martinique on chante l’hymne, j’ai eu plus de sensations avec la Martinique qu’avec les Espoirs, je me suis toujours demandé pourquoi… Paradoxalement, il y avait beaucoup plus de joueurs martiniquais qui chantaient la Marseillaise qu’en équipe de France.

2017 : La fin de ma carrière et le début du chemin vers l’acquisition de mon diplôme d’entraîneur
J’ai arrêté ma carrière à l’US Créteil Lusitanos, ce n’était pas forcément voulu dans un premier temps. Je voulais aller à l’étranger, j’ai eu plusieurs propositions en Turquie, en MLS… J’ai raté pas mal de coches parce qu’il y avait aussi Amiens que j’ai refusé et Strasbourg mais on n’a pas conclu. À partir de là, pendant un an, je n’ai pas joué, j’ai profité un peu de la vie, j’ai voyagé. Ça m’a un peu ouvert l’esprit parce que j’étais formaté football depuis l’âge de 13 ans. Ça a été enrichissant surtout pour savoir ce que j’allais faire de mon avenir et en fait j’ai essayé de reprendre après ça. Je suis allé à l’UNFP j’ai eu deux propositions de LAVAL et de l’US Orléans alors que les gens me disaient que c’était fini. À ce moment-là, j’ai rencontré des problèmes avec mon genou, en fait je n’ai plus de cartilage. J’ai dû partir à Clairefontaine pour me soigner, j’ai vu un spécialiste même si j’en avais déjà vu parce que c’est un problème que j’ai eu tout au long de ma carrière. On va dire que j’ai fait ma carrière à 50% à chaque fois de mes capacités. Suite à cela, j’ai eu mon passage compliqué durant un peu moins de deux mois pour savoir ce que j’allais faire, ce que je voulais faire réellement. J’ai voyagé et ça m’a permis de prendre du recul pour mettre un terme à ma carrière et me dire que derrière ça il y a plein de choses à faire. J’avais pas mal de capacités et de qualité d’autoentrepreneur, ça a été une passerelle assez simple à faire contrairement à certains joueurs. Depuis que j’ai arrêté, mes journées sont plus chargées qu’avant mais je kiffe. Là, j’ai ouvert une salle de sport, on va en ouvrir une deuxième avec mon associé. En même temps je passe mon diplôme d’entraîneur de Football pouvoir revenir dans le foot et partager un peu ce qu’il m’a donné, on verra où après. J’entraîne l’université de l’INSEC et les jeunes de la formation d’Arcachon. Là, par exemple, j’étais sur les terrains depuis 14:00, j’entraînais les équipes des U10 aux U13.
Mon conseil pour un joueur qui souhaite se lancer :
C’est une expérience qui mérite d’être vécue. Il y a beaucoup de concessions, et de sacrifices à faire, on ne s’imagine pas forcément tout ça. On ne s’en rend même pas compte tant qu’on n’est pas dans le monde professionnel. Il y a énormément de sacrifices à faire mais il faut surtout être en adéquation avec sa vision des choses et sa perception de la vie. Quoi qu’il en soit ça reste un des plus beaux métiers du monde, je ne suis pas la seul à le dire. C’est beaucoup d’efforts mais pour autant d’émotions à vivre durant une carrière. Il n’y a pas cent mille jobs qui te font vivre les émotions que tu vas vivre dans le football, qu’elles soient positives ou négatives ; ça te permet de grandir dans la société aussi. Le chemin mérite d’être vécu…